30e anniversaire de la première rencontre entre blancs libéraux d’Afrique du Sud et l’ANC tenue à Dakar en 1987

Les Gouvernements du Sénégal et d’Afrique du Sud ont pris l’heureuse décision d’organiser du 11 au 14 Juillet des journées commémoratives du trentième anniversaire de la première rencontre entre les Libéraux blancs de l’Afrique du Sud et les militants de l’African National Congress (ANC).

Ces manifestations se sont déroulées sous l’autorité du Ministre de la Culture et de la communication qui a mis en place un comité d’organisation composé entre autres de Messieurs Birane NIANG, Secrétaire général du Ministère de la Culture et de la Communication , Hamady Bocoum, Directeur Général du Musée des Civilisations noires , du Directeur des Arts Abdoulaye Koundoul , et de Madame la Sécrétaire Générale de la Biennale Madame Mariéme BA de Dakar.

La diversité de leurs compétences et de leurs expériences aura permis de donner une dimension culturelle multiforme à cet événement marqué , entre autres par l’oraganisation du Colloque : ” Sur la force du dialogue , hier , aujourd’hui et demain “

Je voudrais tout d’abord tout d’abord souligner que cet événement qui est commémoré aujourd’hui nous le devons à la persévérance et à la détermination d’un homme, Frédérick Van zyl Slabbert , qui prit l’initiative de mobiliser les libéraux blancs de l’intérieur pour rencontrer et discuter avec les membres de l’ANC afin de briser le cercle vicieux de la suspicion et de la haine dans lequel le régime raciste de l’Apartheid les avait enfermés.

Le contexte de l’époque était marqué par une extrême agressivité du régime raciste attaqué de toute part ,et qui comme une bête blessée avait accentué la répression intérieure et extérieure. En clair , cette manifestation était complètement illégale du point de vue du régime et faisait encourir à ces organisateurs des sanctions pénales.

C’est malgré toutes ces considérations , que le Dr Slabbert décida de passer à la phase d’exécution de son programme qu’il voulait réaliser absolument dans un pays africain. Il en parla à son ami le poète sud africain Breyten Breytenbach qui me mit dans la confidence en me demandant si je pouvais aider à ce que cela se réalise comme souhaité .

Je lui proposais alors d’organiser la rencontre à Dakar , ce qu’il accepta. Je pris contact avec le Président Abdou Diouf qui profitant d’un voyage à Paris nous reçut à l’Ambassade du Sénégal. Malgré les risques , le Président Diouf enchanté de voir le Sénégal pouvoir jouer ce rôle nous donna son accord.

A la lumière de ce qui précède , notre légitimité de témoignage nous impose un devoir de mémoire et de reconnaissance à l’égard Van zyl Slabbert aujourd’hui décédé et à Breyten Breyten Bach pour le rôle qu’ils ont joué pour permettre le début d’un processus de dialogue qui aboutira à l’émergence d’une nouvelle situation qui permit l’arriver au pouvoir de Frédérick Declreck , la libération de Nelson Mandela et l’avènement de la première République post apartheid.

L’Afrique a le devoir de reconnaitre sans complexe la contribution remarquable de ces hommes qui sont aussi ses fils.

L’Afrique doit éviter de refaire ce qu’elle a condamné chez les autres qui en écrivant une histoire purement idéologique de l’humanité avait dénié à ses enfants même la capacité d’avoir une âme. En discutant avec mon ami le Professeur Iba Der Thiam , dans le cadre de cette commémoration de la rencontre de Dakar dont il fut un éminent animateur et à qui aujourd’hui il a été confié la mission de rédiger l’histoire du Sénégal, j’ai eu le bonheur de constater que nous partagions parfaitement cette appréciation.

La réécriture de l’Histoire de l’Afrique si elle se veut être utile et féconde doit se faire sur des bases objectives qui privilégient la collecte des données .

Cette rencontre historique eut lieu à Dakar un pays qui, fidèle à une longue tradition politique et diplomatique, a toujours joué un rôle important dans la marche de l’histoire de l’Afrique.

Donc ce n’est pas un hasard si cette rencontre a eu lieu ici dans ce pays qui a toujours été à l’avant-garde de nombreux combats et qui a toujours été parmi les grands avocats des grandes causes. Cela appartient son histoire à son vécu et aussi au génie et à la générosité légendaires du peuple sénégalais.

Je voudrais affirmer que de mon point de vue, rien ne se comprend hors de sa résonnance historique car pour bien comprendre les faits et les saisir dans leur dynamique il faut nécessairement les remettre dans leur contexte historique.

Au début était le Café de Cluny à Paris . Dans ce lieu mythique, au cœur du quartier latin, et qui fut le lieu de rencontres de quelques grands noms de l’intelligentsia française et mondiale, j’avais pris l’habitude d’y rencontrer une grande figure de la lutte anti apartheid. Il s’agit de mon ami le grand poète sud-africain Breyten Breytenbach.

Ensemble, nous échangions toujours, et de façon soutenue, sur la situation politique de son pays qui était alors sous le joug du régime raciste et violent de Pretoria. Nous échangions aussi sur la nécessaire mobilisation de toutes les consciences et bonnes volontés pour mettre un terme aux souffrances inacceptables d’un peuple qui se bat pour sa dignité.

C’est ainsi que de fil en aiguille nous posâmes les premiers jalons d’une coopération entre quelques intellectuels engagés de l’Afrique du sud et les membres de l’Association des Juristes Africains.

Ces échanges fructueux autour d’une cause désormais commune, renforcèrent nos liens et ouvrirent de nouvelles perspectives.

L’Association des Juristes Africains(AJA) a entretenu des relations suivies avec l’ANC durant la période de l’Apartheid.

A cet égard, en 1985 avec le soutien des autorités libyennes, l’AJA organisa à Tripoli une Conférence anti-apartheid en collaboration avec l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine. Cette rencontre enregistra la participation des délégations des différents mouvements de libération d’Afrique australe dont l’ANC dirigée par Zola ZIKWEYIYA et la SWAPO. Il y avait également plusieurs éminentes personnalités dont le Secrétaire Général de l’OCI, celui de la Ligue des Etats Arabes, Maitre Abdoulaye WADE, le poète sud-africain Breyten Breytenbachet feu Maitre Mame Bassine NIANG pour ne citer que ceux-là parmi tant d’autres.

C’est dans la continuité de la rencontre de Tripoli que l’AJA facilita le contact entre les Sud-africains libéraux blancs et le Gouvernement du Sénégal du Président Abdou Diouf. C’est ainsi que fut organisée à Dakar en Juillet 1987 la première rencontre entre le Libéraux blancs d’Afrique du Sud dirigé par le  Dr Van Zyl Slabbert ancien Député et les militants noirs de l’ANC sous la conduite de Thabo Mbéki qui sera par la suite le deuxième Président de la République Sud-Africaine post- apartheid. A ces deux éminentes personnalités, il convient d’ajouter Madame Danielle Mitterrand, Présidente de la Fondation « France- Libertés » et le Dr Alex Boraine qui,avec leRévérend Desmond Tutu, dirigera la Commission Justice et réconciliation après la fin de l’apartheid.

Cette rencontre fut préparée dans la plus grande discrétion du fait de la menace multiforme que représentait le régime de l’Afrique du Sud. Elle bénéficia de la collaboration dévouée d’éminentes personnalités autour du Président Diouf comme Ousmane Tanor Dieng,le Pr Iba Der Thiam, Djibo KA et feu Bara Diouf DG du quotidien national « Le Soleil ». J’ai également bénéficie du soutien actif de tous les membres de l’AJA notamment celui du Pr Alberto Antonio Neto, Vice-président de l’AJA et qui était le neveu d’Agostino Neto, premier président de l’Angola

Cette rencontre eut l’écho que l’on sait et fut un moment important dans la marche vers le dénouement de la situation en Afrique du Sud. Quelques années plus tard, avec mon ami Hamidou Sall, nous aurons le bonheur et l’honneur d’une rencontre inoubliable avec Nelson Mandela juste sorti de Prison.

A cette occasion Nelson Mandéla évoqua devant nous la discussion qu’il eut en compagnie d’Oliver Tambo avec Léopold Sédar Senghor premier Président du Sénégal. Aux Sud africains qui étaient venus lui demander de l’aide financière pour continuer la lutte armée menée par leur branche militaire l’Umkhonto we sizwe , le Poéte Président leur fit comprendre qu’il préférait les doter de moyens diplomatiques et politiques de mener leur combat en leur délivrant des passeports diplomatiques et leur permettant d’ouvrir un Bureau de coordination à Dakar.

Le Président Senghor ne manqua pas aussi , selon Mandéla , de les encourager ,d’une manière prémonitoire , à dialoguer avec les libéraux blancs de l’intérieur. Mandéla avait gardé un souvenir impérissable du Président Senghor. En effet , il en parlant tellement , qu’à un moment je me suis demandé s’il s’avait que le Sénégal avait changé de Président .

En vérité , il le savait et établira plus tard des liens très solides avec mon ami le Président Diouf.

Notrerencontre avec Nelson Mandela en 1990 se situe en droite ligne de cette démarche militante et de ces engagements en faveur de la cause du peuple frère d’Afrique du Sud.

Les faits évoqués plus haut peuvent , nous semble-t-il fonder valablement la légitimité de toute action future du Sénégal pour appuyer l’Etat frère d’Afrique du Sud dans la recherche de solutions durables aux problèmes qui assaillent très logiquement son peuple qui a subi pendant des siècles l’une des dominations les plus ignominieuses, les plus dégradantes de la personne humaine.

L’Afrique du Sud a besoin de continuer son dialogue intérieur sous la bienveillante vigilance d’Etats amis comme celui du Sénégal. En effet, l’Afrique du Sud doit résoudre les sérieux problèmes d’inégalités qui la traversent. En effet, les blessures psychologiques et morales refoulées qui minent son Peuple peuvent expliquer la redirection de l’agressivité vers leurs frères noirs originaires des autres pays africains qui les ont tant aidés. Cette agressivité inacceptable et condamnable envers des frères africains si elle n’est pas vite endiguée peut se diriger demain vers la communauté blanche et replonger l’Afrique dans de douloureux problèmes qu’on pouvait croire révolus.

L’Afrique ne peut pas se permettre de voir l’Afrique du Sud sombrer. Le pays arc- en – ciel est pour une certaine période le plus grand espoir de voir un pays africain figurer parmi les pays dits émergents.

Par conséquent , comme une manière de tirer des conclusions de cette commémoration , nous pensons que la Diplomatie sénégalaise doit anticiper dans ses initiatives culturelles et économiques envers ce grand pays frère.

En cela nous saluons la noble et opportune initiative d’organiser le 30ièmeanniversaire de la rencontre de Dakar entre les Libéraux blancs et l’ANC qui a déjà permis la signature d’un accord de jumelage entre Robenn Island et l’île de Gorée, deux sites martyrs, deux lieux porteurs d’une histoire douloureuse mais qui aujourd’hui jettent un pont de fraternité et d’espoir entre nous.

A Gorée comme à Robben , rien a été oublié , mais pour aller de l’avant on a essayé de pardonné en s’inspirant de la collaboration du Dr Alex Boraine et Desmon Tutu qui en dirigeant la ” Commission Justice et réconciliation” ont confirmé la sage parole qui veut que Dieu ne demande pas la mort du pécheur mais sa rédemption.

En manière de conclusion , nous voulons citer l’écrivain Hamidou Sall qui, en évoquant ce que lui avait inspiré la première visite du Président Macky Sall en Namibie, pays qui comme l’Afrique du Sud avait souffert de l’odieuse politique de l’Apartheid et qui comme cette république sœur avait bénéficié du soutien diplomatique et politique du Sénégal depuis le Président Léopold Sédar Senghor, disait :

Le passé est la racine de l’avenir. Puisse le Président Sall, dans la continuité d’une tradition bien sénégalaise, par son action de tous les jours, maintenir haut le flambeau de la lutte pour les libertés, la démocratie et la réconciliation.

Dr Benoit S. NGOM

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