A quelques mois d’intervalle trois jeunes femmes sénégalaises se sont retrouvées placées sous mandat de dépôt et en l’espace de 48h, elles ont bénéficié chacune d’une liberté provisoire. A la base de leur sort l’utilisation des réseaux sociaux pour s’en prendre au Président de la République ou une partie de la société sénégalaise.
Leur libération est certainement liée à une mobilisation exceptionnelle de la Société civile à travers différents canaux de communication. A cet égard, les dernières décisions de la Justice sénégalaise les concernant montrent bien les limites objectives du traitement strictement judiciaire de phénomènes de société liés à la mondialisation de l’information et de la communication.
Protection de la liberté d’informer
Les trois cas, d’une manière générale renvoient d’abord à la responsabilité du diffuseur de l’information usurpée par un tiers ou assumée par son auteur au mépris de la loi, ensuite à la responsabilité de celui qui a obtenu par des moyens frauduleux des images ou des sons sans le consentement de la personne concernée, c’est à dire celle à qui ils sont attribués. Enfin ces cas posent la question de la responsabilité pénale que l’utilisation abusive du son ou de l’image usurpé fait peser sur la personne à laquelle ils sont attribués.
La question de la responsabilité des sites de la presse en ligne est réelle et ne saurait être passée sous silence. Mais ceci ne doit pas entrainer un déchainement incontrôlé de critiques contre des organes de presse sans lesquels bien des informations utiles à l’approfondissement de la démocratie auraient été totalement ignorées. En effet, rien ne doit occulter le rôle fondamental que la liberté de cette presse nouvelle a apporté à la propagation de l’information et dans bien des cas à l’éducation des citoyens qui aujourd’hui sont beaucoup plus informes qu’au temps du Parti unique , de la Presse unique et de la Pensée unique.
Par conséquent, il s’agit de trouver un équilibre entre le dogme de la liberté d’informer et l’impératif de sauvegarde de l’ordre public. C’est dans cette optique, me semble-t-il que se situe le récent communique de l’Association des Professionnels de la Presse en Ligne (APPEL) qui invite ses journalistes au respect scrupuleux de l’éthique et de la déontologie.
Abrogation du délit d’offense au chef de l’Etat
Amy Collé et Ouléye Mané, mais d’autres personnes au paravent ont été placées sous mandat de dépôt pour avoir offensé le Chef de l’Etat. Pourtant l’application de la loi relative à l’offense au Chef de l’Etat renvoie toujours à la difficile question de la définition de l’offense à différentes phases de l’évolution de la société. D’ailleurs , les Français qui nous ont inspiré cette notion l’avaient toujours considérée comme une résurgence des prérogatives royales.
C’est dans cet esprit que la loi relative au délit d’offense au Chef de l’Etat a été abrogée en France en 2013 par l’Assemblée nationale qui tenait aussi compte d’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui avait refusé de considérer que le port d’une pancarte devant le Président de la République qui traitait celui-ci de ” ‘pov’ con” était une offense à sa personne mais plutôt une manifestation de la “liberté d’ expression.
En effet, la banalisation des images , la fin de la sacralité du Pouvoir politique, l’extension de la liberté d’opinion, dans toutes les sociétés humaines actuelles , font que l’usage de la notion d’offense au Chef de l’Etat crée plus de problème à l’ordre juridique et au Président de la République qu’il ne contribue à renforcer l’aura de sa fonction.
Le Chef de l’Etat comme le Procureur de la République, en la matière, sont accusés et critiqués à tort . Car , en cas d’offense au chef de l’Etat, ce dernier n’a point besoin d’agir personnellement contre l’auteur de l’acte incriminé, alors que le Procureur de la République s’autosaisit conformément à la loi .
Pour toutes ces raisons, le législateur doit aider le Juge et le Président de la République en adaptant les lois aux exigences des démocraties modernes ou la tolérance bien comprise jusqu’à un certain niveau , est le moteur des systèmes politiques. Dans cet esprit, il convient d’abroger le délit d’offense au Chef de l’Etat et de miser sur le sens de la responsabilité des citoyens et sur la capacité d’autorégulation de la société. La société sénégalaise qui est d’une grande maturité politique saura sans aucun doute arbitrer les débats inévitables dans une démocratie qui continue d’aspirer à une plus grande maturité .
Education plutôt que répression
L’Etat doit tout faire pour que le débat politique puisse se passer dans un cadre légal et social qui s’inspire de nos valeurs fondamentales de civilisation marquées par la tolérance , le sens de la mesure et de la courtoisie, sans menaces déplacées , ou répression judiciaire inutile. En effet , la peur de s’exprimer à l’intérieur du pays peut déplacer le cadre de discussion en dehors de tout contrôle de l’autorité publique notamment hors des frontières , ce qui semble se dessiner actuellement avec la multiplication des offres d’informations à partir de plateformes individuelles hors de tout contrôle politique ou social.
A cet égard, bon nombre d’observateurs pensent que la répression pénale est loin d’être le moyen le plus pertinent pour gagner le respect de ces concitoyens, mais plutôt l’éducation de masse par la mise à niveau démocratique de la population grâce à une bonne utilisation des moyens de communication moderne.
En vérité la société sénégalaise voire africaine condamne sans réserve les paroles ou les gestes outranciers à plus forte raison quand ils sont adressés au Président de la République. C’est dans cet esprit que nous implorons la clémence du juge en faveur de Amy Collé Dieng, Ouléye Mané et Penda Ba .
Pr Benoit S. NGOM Président Fondateur de l’Association des Juristes Africains (AJA)